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mardi 4 novembre 2014

De quatorze à quatorze

De quatorze à quatorze 

Sur le chemin des Dames, ils n’en ont pas croisées,
Partis fleur au fusil vers la victoire, ce fut la mitraille, les gaz et les barbelés,
Les obus, les éclairs dans la nuit et l’odeur âcre de la boue gorgée et puante,
La peur au ventre et le froid saisissant, chair à canon innocente et tremblante.
 
Et sur la cheminée, dans son cadre en laiton, la photo sépia, presque effacée,
 
De mon grand-père, moustache en croc de poilu, un peu guindé.Dans les forêts sombres des Ardennes et leurs pièges mortels, pleins de rancœur,

La « Der des Der », abandonnés des grands, enfants de la débâcle, du déshonneur,
L’exode en guenilles sur les routes de France, la famine, le sang et les larmes,
La honte dans les yeux mais l’espoir aux entrailles, clandestins et frères d’armes.
Et sur la cheminée, cette photo jaunie de mon père et son chien,
 
Si fier, à côté de grand-père, pourtant si près, pourtant si loin.Puis le djébel aride aux rocailles brûlantes, sous un soleil de plomb qui vous dessèche l’âme,

Un conflit dont ils ignoraient presque tout, dans l’air vibrant, suffocant, chargé de drame,
Près des fermes hostiles aux volets barricadés, purs juvéniles, vingt ans dans ces Aurès,
Jeunesse sacrifiée souriant quand même, portant dans ses yeux un monceau de promesses.
Et sur la cheminée, la photo noir et blanc, craquelée des larmes de ma mère, A côté de mon père, faisant face à grand-père, le regard lumineux de mes deux frères.

Colette Martin

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